Découvrez l'histoire de Rouen dans l'esclavage
Le passé de Rouen dans l'esclavage n'est pas forcément connu de tous les rouennais, et pourtant sans elle la traite n'aurait pu se structurer en Normandie. Plongée dans ce passé un peu sombre de la ville de Rouen.
Fonctionnement de l’esclavage en Normandie
En 1716, Philippe d’Orléans assure la régence car le roi est encore trop jeune pour régner. C’est donc le Régent qui signa une lettre patente permettant à Rouen de se lancer dans le commerce des esclaves.
Ce commerce d'esclaves se décompose en trois étapes et se réalise sur une période allant de 12 à 15 mois.
Tout d’abord, les bateaux sont armés en Normandie dans les ports du Havre ou de Honfleur, où ils sont chargés de marchandises qui seront ensuite revendues sur les côtes africaines.
Un premier voyage s’opère jusqu’au continent africain, où les marchandises sont échangées contre des esclaves.
Une fois le bateau rempli d'esclaves, débute alors le voyage le plus périlleux vers les côtes américaines où les esclaves sont vendus et participent à la culture du coton, du tabac, du cacao. Des marchandises issues donc de la traite négrière. Les bateaux reviennent ensuite en métropole avec leurs précieux chargements.
Ce commerce en trois étapes est communément appelé commerce triangulaire.
La traite a pu se mettre rapidement en place en Normandie grâce au commerce colonial entretenu avec les Caraïbes notamment. En peu de temps, le complexe Rouen-Le Havre-Honfleur fut le deuxième plus grand centre de traite négrière après Nantes. Au total, ce sont près de 500 bateaux qui sont partis de Normandie entre le XVIIIème et le XIXème siècle.
Le rôle de Rouen dans l'esclavage
En raison de son faible tirant d’eau, la Seine et donc par extension le port de Rouen ne pouvait assurer l’accueil des navires nécessaires au commerce des esclaves.
Ce rôle de port logistique fut confié à celui du Havre, complété par celui d’Honfleur.
Le rôle de Rouen fut surtout de permettre le financement des coûteuses expéditions. Le commerce triangulaire est un commerce qui nécessite d’importants fonds de départ pour armer les navires et acheter les marchandises qui seront ensuite revendues sur les côtes africaines. Parmi ces marchandises, on retrouve du textile, des armes, des outils ou bien des alcools. Ces achats massifs vont ainsi profiter aux producteurs locaux.
La puissance économique de Rouen au XVIII lui permet de financer ces expéditions qui peuvent rapporter jusqu’à 10 fois la mise de départ.
Les Rouennais se sont donc beaucoup enrichis sur cette période. Des familles comme Le Couteulx, Levavasseur ou Quesnels s’enrichissent considérablement et s’affrontent pour la maîtrise de ce commerce. Cet enrichissement est encore visible dans le patrimoine architectural rouennais aujourd’hui mais aussi dans la toponymie.
Dans une moindre mesure, Rouen a également fourni des hommes pour les expéditions où la mortalité des équipages pouvait atteindre les 10%.
Les Rouennais dans la lutte contre l’esclavage
Le XVIIIème siècle voit les idées des Lumières se développer, et avec elles une remise en cause du principe même de l’esclavage. Néanmoins à Rouen et au Havre, les partisans de la traite furent nombreux en raison de l’importance économique du commerce triangulaire. Le journal de Normandie participa également à la diffusion de thèses soutenant que les populations noires sont inférieures et donc adaptées à l’esclavage. Ces idées furent néanmoins combattues par certaines figures locales comme au Havre avec l’Abbé Dicquemare, ou bien la femme des Lumières Marie Le Masson Le Golft.
Lorsque vint la révolution de 1789, l’idée d’abolir l’esclavage et de donner le droit de vote aux personnes de couleurs émergea peu à peu. Voyant leurs intérêts menacés, les Rouennais et les Havrais s’allièrent afin de faire porter leur voix auprès de l’Assemblée Nationale nouvellement constituée.
L'insurrection de Saint Domingue le 22 août 1792 vint bouleverser le commerce établi par les normands. En effet, c’est avec cette île que les principaux échanges furent réalisés autour de Cap-François. Cette véritable révolution haïtienne amena la Convention à abolir l’esclavage le 4 février 1794 dans un décret. Les Rouennais se détournèrent alors rapidement de la traite au profit d’autres activités économiques. Une fois l’esclavage rétabli par Napoléon Ier en 1802, les Rouennais se montrèrent actifs dans la contestation en diffusant des idées abolitionnistes y compris dans le Journal de Rouen qui a longtemps défendu l’esclavage.
Une stèle commémorative existe à Rouen
Le 10 mai 2022 la ville de Rouen a inauguré la stèle commémorative de l'esclavage située sur les quais de Seine. Cette stèle devient ainsi la première trace dans le paysage urbain de l'esclavage financé par les Rouennais.
La création de cette stèle en mémoire aux victimes de l’esclavagisme et de la traite négrière a été décidée lors du conseil municipal du 28 mars 2022. Cette décision a été prise après un travail mené avec des associations, des chercheurs et des historiens dans le cadre des “Débats des mémoires rouennaises” qui ont fait ressortir le rôle de Rouen dans le financement de l'esclavage.
La stèle se compose de deux éléments: un texte et un arbre.
Le cœur de l'arbre représente l'Afrique, et les branches représentent les différentes colonies où les esclaves étaient envoyés. La symbolique de l'arbre renvoie également au déracinement subi par les esclaves, arrachés de leurs terres d’origine.
Le texte reprend les mots utilisés dans le décret royal de 1716 qui autorise Rouen et d'autres villes à pratiquer le commerce d'esclaves sur la façade atlantique.
« Nous avons permis & permettons à tous les Négociants de notre Royaume, de faire librement à l’avenir le commerce des Nègres […] à condition qu’ils ne pourront ainsi armer ni équiper leurs Vaisseaux que dans les Ports de Rouen, La Rochelle, Bordeaux et Nantes ». Ces lignes écrites au nom du Roi en 1716 rappellent le rôle joué par Rouen dans le financement du commerce triangulaire avant la Révolution. La Ville de Rouen honore aujourd’hui la mémoire des millions de personnes réduites en esclavage victimes de ce crime contre l’humanité. »
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